Figures de style chez Marcel Duchamp [9/3]

9/3 L'INVERSION SIGNIFANT/SIGNIFIE

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1/ Sémiologie express
2/ Le triangle sémiotique à l’épreuve de « Fountain »
3/ Le « Grand verre », une accumulation de signes
4/ Les regardeurs
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1/ Sémiologie express

Il faut en passer par une explication rapide et forcément sommaire de l’outil sémiologique de base que nous allons utiliser tout au long de cet article pour expliquer le renversement de situation qu’opère Marcel Duchamp. Ces explications devraient nous permettre de comprendre comment et pourquoi, dans ses productions plastiques, il s’agit de percevoir bien autre chose que ce qui est visible.

Par analogie avec le domaine linguistique, la sémiologie est, pour les images, une approche qui permet d’analyser la signification ou la production de sens. Sémiologie vient du grec semeion : signe + logos : discours. Par exemple, dans le monde médical, il s’agit d’interpréter les signes que sont les symptômes ou syndromes (ensemble de symptômes). Dans le domaine linguistique, on utilise le terme sémiotique, très proche, une philosophie du langage, mais aussi une étude des langages particuliers (image, cinéma, peinture, littérature, etc.) C’est d’ailleurs dans ce champ linguistique que Pierce a élaboré une théorie des signes (1867), largement reprise et amendée par de nombreux chercheurs et que l’on peut transposer dans l’univers des signes visuels.


L’image est un texte, tissu mêlés de différents types de signes qui nous parlent « secrètement ». « Le sémiologue est celui qui voit du sens là où les autres voient des choses » (Umberto Eco) et donc qui « montre, avec un minimum de preuves, quelles significations et quelles interprétations peuvent produire ces choses ». (Martine Joly)
Le signe est, lui, une entité à deux faces : le signifié (c’est le concept et non pas l’objet) et le signifiant (c’est la face matérielle et perçue du signe).
Néanmoins, le signe peut se référer à un objet du monde ou à un événement ou à une action dont la représentation manque dans une telle structure minimale. C’est pourquoi une distinction maintes fois reprise entre trois éléments, et non plus deux seulement, se retrouve dans un autre diagramme montrant que tout signe, y compris linguistique, relie au moins trois termes : un signifiant (perceptible), un référent (réalité physique ou conceptuelle du monde) et un signifié (sens).

Joseph Kosuth a souvent mis en scène ce triangle sémiotique depuis les années 60'.
One and three, objet, photographie de l'objet et définition de l'objet. Joseph Kosuth.

Bon, il fallait en passer par là et, pour reprendre Foucault, « abattre la forteresse ou la similitude était prisonnière de l’assertion de ressemblance ». [« Ceci n’est pas une pipe », à propos du tableau « la trahison des images de Magritte, Michel Foucault, Fata Morgana, 1973]


2/ Le triangle sémiotique à l’épreuve de « Fountain »

Appuyons-nous sur l’analyse du readymade « Fountain », daté de 1917. « Fountain » est devenue une des icônes mondiales de l’art contemporain, a été refusée il y a plus d’un siècle par le jury d’une exposition où elle devait faire sa première apparition, et a été proposée par Marcel Duchamp, largement associé à un groupe informel d’artistes new-yorkais·e·s.
Photographie de "Fountain", dans "The blind man", mai 1917. Photographie de Joseph Stieglitz.

En prenant comme grille d’analyse le triangle sémiotique, on peut poser communément que le référent c’est un urinoir, que le signifiant, c’est un urinoir nommé « Fountain », dans une position renversée sur lequel est inscrit comme une signature « R.Mutt 1917 » et que le signifié direct c’est la vulgarité et/ou la provocation : « C’est dégueulasse » et/ou « On se fout de moi par rapport à ce qu'on me propose d'habitude comme œuvre artistique ».



Mais pour aller plus loin, il est intéressant de comparer ce que peut offrir le triangle sémiotique de trois points de vue différents, A/ celui de Marcel Duchamp lui-même (ou presque), B/ celui de du jury de 1917 (qui allait sceller le sort de l’œuvre) et C/celui des regardeurs contemporains (pour la plupart largement ignorant·e·s du contexte de réalisation et de diffusion de cette œuvre).

Pour connaître la saga du readymade « Fountain » lire ici.

A/ Du point de vue de Marcel Duchamp
Bien-sûr, ce point de vue est reconstitué avec l’hypothèse qui nous anime, que « Fountain » est une œuvre-démonstration, pensée et mise en acte par Marcel Duchamp dès 1912. [voir ici]
Référent
Un urinoir fabriqué industriellement et en série, acheté à la société J. L. Mott Iron Works, à New York en 1917.
Signifiant
Je signe sur la surface lisse et immaculée de la céramique, à la peinture noire, sous le pseudonyme de R.MUTT, je l’intitule en jouant avec les mots, FOUNTAIN, je présente l’objet à l’envers.
Signifié
FOUNTAIN : jaillissement, inversion de réceptacle à source, passage du masculin au féminin.
R.MUTT : lettre R pour être le premier objet présenté dans l’exposition de l’association « The Society of Independent Artists » autrement appelée « The big show », en 1917. (le jury avait décidé précédemment que les exposants seraient exposés dans l’ordre alphabétique en commençant par la lettre « R »).
Surface lisse et immaculée : vierge qui se transformera en mariée, métaphore du regard/choix inséminant des regardeurs.
Retournement : inversion, détournement, changement du regard sur l’art en général et sur la nature des œuvres d’art en particulier.
READY MADE : objet repoussoir destiné à tester le statut d’œuvre d’art et à devenir emblématique d’une expérience qui consiste à provoquer le refus puis à attendre la réhabilitation.
B/ Du point de vue du jury de l’exposition « The big show », 1917
Référent
Un urinoir fabriqué industriellement et en série. Usage sanitaire, masculin.
Signifiant
Un urinoir du commerce présenté à l’envers signé à la peinture noire, R.MUTT, intitulé FOUNTAIN.
Signifié
FOUNTAIN : jaillissement, inversion de réceptacle à source, passage du masculin au féminin.
R.MUTT : nom inconnu de tous et toutes, sauf de certain·e·s qui étaient au courant du pseudo mais ne le dévoilaient pas.
Surface lisse et immaculée : une nouvelle esthétique « Bouddha dans la salle de bain ».
Retournement : détournement, mais la provocation est trop forte pour être acceptée comme un changement du regard sur l’art en général et sur la nature des œuvres d’art en particulier.
C/ Du point de vue des regardeurs contemporains
Référent
Un urinoir fabriqué industriellement en série, utilisé dans les toilettes masculines du monde entier. Le cartel omet le plus souvent de signifier la nature de copie de ce qui est présenté et regardé. Donc, la plupart du temps, les regardeurs prennent la copie pour l’original et ne voient pas qu’il s’agit d’une copie-sculpture modelée à partir de la photographie de Stieglitz.
Signifiant
Un urinoir du commerce présenté à l’envers signé à la peinture noire, R.MUTT, associé à un cartel qui indique le plus souvent : « Fountain, Marcel Duchamp, 1917 ». C’est donc une œuvre d’art officielle. Un siècle après sa création, l’œuvre est toujours regardée comme une des sources de l’art contemporain.
Signifié
FOUTAIN : jaillissement, inversion de réceptacle à source, passage du masculin au féminin.
R.MUTT : nom inconnu, puis compris comme pseudonyme après lecture du cartel.
Surface lisse et immaculée : fondateur d’une nouvelle esthétique comprise comme celle du « design industriel ».
Retournement : détournement encore difficile à accepter comme une provocation au changement du regard sur l’art en général et sur la nature des œuvres d’art en particulier. Pour la plupart des regardeurs, une méfiance subsiste encore sur la validité de l’histoire de l’art à avoir sanctifié cette production comme une œuvre d’art.


L’analyse de « Fountain » par le triangle sémiotique permet de mettre en valeur comment, par étape successives, Marcel Duchamp a pu engager et réussir l’expérimentation fondamentale qui ouvre le champ d’une grande partie de l’art contemporain, du refus dans un premier temps à la réhabilitation dans un second temps.




3/ Le Grand verre », une accumulation de signes

Ce qui vaut pour « Fountain » (1917) vaut également pour le « Grand verre » (1915-1923) qui, beaucoup plus qu’une histoire mécaniste et sexuelle peinte sur verre, est le diagramme de la pensée de Duchamp. Le grand verre est incomplètement rempli, il avait vocation à être saturé de figures comme autant de signes, si M.D. ne l’avait « définitivement inachevé » en 1923. Mais même inachevé, chaque élément du grand verre signifie. (voir saga du Grand Verre ici]

"La marie mise à nu par ses célibataires même", appelé "le grand verre", 1915-1923, verre brisé puis réparé en 1933 [277,5 × 175,9 cm]
 Dans une conférence [dont on peut trouver le texte ici], j’ai montré les différents niveaux métaphoriques des productions duchampiennes, résumés ainsi pour le « Grand verre » :
« L’artiste conçoit et agit (glissière) et réfléchit, broie du noir (broyeuse de chocolat) • Le public gonflé de son importance trivial (moule malics) applique son jugement de goût à la production artistique (flux des tubes capillaires) • La combinaison du jugement de goût (gaz d’éclairage) avec la décision de l’artiste (les ciseaux) façonne sa création (le 3 fracas) et forme un seul objet, la production artistique • qui alors passe par l’archivage médiatique (témoins oculiste) et pénètre à la postérité, souvent posthume, par les neuf tirés • Concomitamment, le discours sur l’art (boite à lettres) est validé-imprimé (trois pistons) et diffuse (par les neufs tirés) de la postérité vers le public, le domestique (domaine des célibataires) • La production artistique change de statut à la confluence de ces deux courants (effet Wilson Lincoln), par la puissance médiatique (témoins occultistes) et par le renversement du jugement de goût (tamis) • »
La plupart dans commentateurs qui ne font que commenter le référent de chaque signe se perd le plus souvent dans des conjectures biographiques. Exemple : la broyeuse de chocolat était vue par Duchamp, lorsqu’il était enfant, dans la vitrine d’un commerçant dans les rues de Rouen.
Broyeuse de chocolat, Marcel Duchamp, 1914

Marcel Duchamp regardant une boyeuse de chocolat dans la vitrine d'un commerce de Rouen, peinture Alain Raffay.

Si on ne s’attache qu’au signifiant, on constate, dans le "Grand verre", une suite de figures épurées, qui relèvent du dessin technique. Si on les isole, on remarque que ces figures tendent à devenir des pictogrammes, cette forme graphique qui condense au plus fort la notion de signifié.
Mais chacune de ses figures — on le sait en lisant les mots dans les notes de la « boîte verte » —, sont porteurs de toute une histoire qui a précédé et présidé à leur mise en forme. Du côté du signifié pensé, mis au point et mis en œuvre par Duchamp donc, ces figures sont très chargées.

On a donc des référents machine, mécanique, issus de la vie courante (roue à aube, tamis, glissière, agents de service, effet lincoln/wilson, lentilles photographiques, trous, nuages, pantin anthropomorphe…).
On a donc des signifiants très froids, technicisés, impersonnels, homogènes sur l’ensemble des figures.
On a donc un signifié riche, polysémique, codé, quasi inaccessible si on a pas lu et décrypté les notes de la « boite verte », objet indissociable du « Grand Verre ».


le Grand verre est un diagramme car il explique le parcours d’un objet d’art, de sa genèse par l’artiste à son accession post-postérité au statut d’œuvre d’art et c’est sa lecture par les signifiés qui nous le fait comprendre. Si l’on en reste aux signifiants, on évoque au mieux la mise en scène d’une histoire mécanisée de la sexualité. Si on s’en tient aux référents, on reste anecdotique et vaguement biographique.
C’est le sens métaphorique de ces signes et de cette image globale qui importe et seulement importe et non l’image elle-même. c’est cela l’inversion du signifiant et du signifié. Duchamp nous fait plonger dans le signifiant (un leurre) pour mieux faire exploser le signifié lorsqu’on a décodé l’œuvre. C’est, comme l’écrit Alain Boton, « une méthode maîtrisée pour atteindre la postérité » . [1]


4/ Les regardeurs

Contrairement à ce qui est très souvent commenté,
MD. n’impute pas aux regardeurs la responsabilité du « sens ». [2] [voir un exemple]
L’œuvre duchampienne n’émerge pas comme un « signe vide », pur signifiant ». Pour MD., le regardeur est un acteur hypersocialisé du jugement de goût, soumis aux phénomènes de distinction et de clichés. Le regardeur croit voir quelque chose dans les œuvres — et souvent il s’arrête à la trivialité. Le regardeur est celui qui ne fouille pas la question du sens, qui s’arrête là où MD. veut qu’il s’arrête, à la trivialité volontairement érigée par MD. en signe repoussoir. Ce signe repoussoir joue son rôle, le regardeur "l'active" en le récusant, puis, par les effets de postérité, la démonstration duchampienne se déploie et le signe repoussoir devient un signe de distinction et l'objet est réhabilité jusqu'à devenir, éventuellement, un nouveau signe esthétique, une nouvelle norme plastique et artistique. Ce n'est qu'à ce moment qu'on peut éventuellement parler de "pur signifiant", au sens où le signifiant et le signifié se sont inversés, on peut même dire se sont confondus.



Ce sont les regardeurs qui font les tableaux [Autour de citations de MD.] 
« Il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d'importance qu'à celui qui la fait. » [Ingénieur du temps perdu, p.122] 
« J’abandonne ma peinture au regardeur. Je ne mets pas de mode d’emploi dessous, je ne mets pas de titre anecdotique comme le font souvent les peintres figuratifs qui sont dans la nécessité de le faire. » [Pierre Soulages, Outrenoir. Entretiens avec Françoise Jaunin. La Bibliothèque des Arts, 2012, p.67] 
« Supposez que le plus grand artiste du monde soit dans un désert ou sur une terre sans habitants : il n'y aurait pas d'art, parce qu'il n'y aurait personne pour le regarder. Une œuvre d'art doit être regardée pour être reconnue comme telle. Donc, le regardeur, le spectateur est aussi important que l'artiste dans le phénomène art. Mais je crois que l’artiste qui fait cette œuvre, ne sait pas ce qu’il fait. Je veux dire par là : il sait ce qu’il fait physiquement, et même sa matière grise pense normalement, mais il n’est pas capable d’estimer le résultat esthétique. Ce résultat esthétique est un phénomène à deux pôles : le premier c’est l’artiste qui produit, le second c’est le spectateur, et par spectateur, je n’entends pas seulement le contemporain, mais j’entends toute la postérité et tous les regardeurs d’œuvres d’art qui, par leur vote, décident qu’une chose doit rester ou survivre parce qu’elle a une profondeur que l’artiste à produite, sans le savoir. Et j’insiste là-dessus parce que les artistes n’aiment pas qu’on leur dise ça. L’artiste aime bien croire qu’il est complètement conscient de ce qu’il fait, de pourquoi il le fait, de comment il le fait, et de la valeur intrinsèque de son œuvre. À ça, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste. » Entretiens avec Georges Charbonnier - Marcel Duchamp 1961 
Dans les Entretiens (de 1967), Duchamp répond à Pierre Cabanne, qui lui demande ce qu’il en pense, que les happenings lui plaisent beaucoup parce que « c’est quelque chose qui s’oppose carrément au tableau de chevalet ». Pierre Cabanne enchaîne : « Cela colle tout à fait à votre théorie du regardeur ». Marcel Duchamp : « Exactement. Les happenings ont introduit dans l’art un élément que personne n’y avait mis : c’est l’ennui. Faire une chose pour que les gens s’ennuient en la regardant, je n’y avais pas pensé ! Et c’est dommage parce que c’est une très jolie idée. C’est la même idée, au fond, que le silence de Cage en musique : personne n’avait pensé cela ». (...)
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[1] Alain Boton a clairement identifié ce jeu, ce rapport inversé entre le signifiant et le signifié chez Duchamp à propos du signe spirale souvent utilisé par Marcel Duchamp. Et pourtant, souvent, les analystes historiens d’art et autres critiques commentent le plus souvent les spirales elles-mêmes sur le versant du signifiant alors que Marcel Duchamp a utilisé ce signe, constamment, pour son versant signifié.
Ce sont des spirales dessinées sur des cartons qui prenaient relief lorsqu’on les plaçait sur un tourne-disque en marche. Avec ses rotoreliefs, Marcel Duchamp s’inscrit au concours Lépine (un concours d’inventeurs), et ces objets le lui permettaient.
Concrètement il a cherché à se faire enregistré par un jury comme inventeur ou découvreur d’une spirale en mouvement. Mais ce qu’il voulait qu’on inscrive et qu’on retienne est bien évidemment le sens métaphoriques de ses spirales, à savoir l’accès à la postérité, et non ces spirales elles-mêmes. Se faisant, il anticipait sur l’avenir et proclamait ainsi qu’il serait un jour enregistré comme découvreur de ce qu’elles représentent  dans son propre langage : la méthode maitrisée pour atteindre la postérité. Cette inversion comique du signifiant et du signifié, Duchamp l’a trouvé dans Le Rire d’Henri Bergson, qui a été son livre de chevet et le manuel de construction de son Grand verre. Je vous le montrerais plus tard. Voilà l’origine bergsonienne des Rotoreliefs au concours Lépine  : Aussi obtiendra-t-on un effet amusant quand on développera un symbole ou un emblème dans le sens de leur matérialité et qu’on affectera alors de conserver à ce développement la même valeur symbolique qu’à l’emblème. Dans un très joyeux vaudeville, on nous présente un fonctionnaire de Monaco dont l’uniforme est couvert de médailles bien qu’une seule décoration lui ait été conférée : “c’est, dit-il, que j’ai placé ma médaille sur un numéro de la roulette, et comme ce numéro est sorti, j’ai eu droit à trente-six fois ma mise”
Duchamp a repris cette idée et l’a mise à sa sauce. L’emblème ou le symbole représenté par la spirale sera validé comme une invention dans le sens de sa matérialité par le jury du concours Lépine, alors qu’aujourd’hui on comprend que Duchamp lui a fait valider sa valeur symbolique. C’est drôle. Et quand on voit ce qu’en a dit la critique (les rotoreliefs sont de l’ordre de l’expérimentation scientifique dans le domaine de l’optique), c’est tout simplement à mourir de rire. En même temps, puisque Duchamp a revendiqué clairement pour son œuvre un caractère scientifique, ne serait-ce que par la formulation étant donnés premièrement et deuxièmement présente dans le Grand verre et dans Etant donnés…, il est normal que la critique ait cherché dans l’œuvre cet aspect scientifique. Mais comme nous le voyons, cette revendication concernait uniquement son expérience sociologique qui, en effet, a véritablement un côté scientifique.

Duchamp par lui-même (ou presque). FAGE, 2012.
[2]
« [...] Quand le cubisme a commencé à prendre une forme sociale, on parlait surtout de Metzinger. Il expliquait le cubisme, tandis que Picasso n’a jamais rien expliqué. Il a fallu quelques années pour se rendre compte que ne pas parler valait mieux que dire trop de choses. […] C’est plus tard que Picasso est devenu un drapeau. Le public a toujours besoin d’un drapeau […]. Après tout, le public représente la moitié de la question ». Le succès d’un artiste n’est donc pas forcément le gage de la valeur de son art. Soit. Mais cette dernière formule exprime avant tout une conception moderne que Marcel Duchamp se fait de la rencontre de l’œuvre. L’œuvre émerge comme un signe vide, pur signifiant. Le signifié – le sens – qu’on le veuille ou non, est toujours à la charge du « REGARDEUR ». Progressivement, dans un processus social complexe et parfois long, ce signe vide se remplit de sens. Autrement dit, le spectateur est responsable de l’art qu’il aime, des œuvres qu’il contemple et des artistes qu’il soutient. Mais seulement pour moitié ; l’autre moitié, l’œuvre – c’est-à-dire le signe dont le signifié est vide, du moins dans un premier temps – revient à l’artiste."
http://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-pratiques-poetiques/incertain-sens/programmation_archives_duchamp.htm + Journal du cabinet du livre d’artiste novembre 2013

Typologie des structures du signe : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/1761