Figures de style chez Marcel Duchamp [9/4]

PICTURE [ˈpɪk.tʃə] et IMAGE [ˈɪmɪʤ] chez Marcel Duchamp.

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« La langue anglaise bénéficie d'une distinction opportune dont ne dispose pas la langue française ; à l'image [ˈɪmɪʤ], objet de l'impression visuelle, qui pénètre pensée et discours, s'oppose la picture [ˈpɪk.tʃə], artefact et motif matériels. L'image apparaît ainsi dématérialisée, et telle est sa capacité de pénétration. Elle ne sait pas se restreindre en un champ donné et ne dépend ni d'un media essentiel ni d'une pure opticité, physiologique ou cuturellement fondée. L'image est idées, théories, descriptions, métaphores, fantasmes, rêves, souvenirs. »
M. Boidy ; S. Roth / introduction.
Iconologie [image, texte, idéologie] de W.J.T. Mitchell. Les  prairies ordinaires 2009.

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Cet article est rédigé comme un carnet de notes d'idées à développer.

1 - Etant donnés…
2 - les concepts de l’iconologie et MD.


Il me semble vraisemblable que Marcel Duchamp, arrivant à New-York en 1915, maîtrisant très peu l’anglais mais accueillit directement au cœur d’un aréopage d’intellectuels et d’artistes, apprenant donc l’anglais au contact de personnes jouant eux-mêmes avec les mots dans la langue anglaise, il me semble vraisemblable que Marcel Duchamp a dû capter très vite l’usage et la distinction des termes PICTURE [ˈpɪk.tʃə] et IMAGE [ˈɪmɪʤ]. Depuis 1912, Marcel Duchamp élaborait sa propre réflexion sur l’art en concevant le « Grand verre » et sa pensée a incorporé ces deux termes comme un carburant bien venu ou alors, à la découverte de ces deux termes, sa pensée s’est enrichie d’une formulation qui permettait alors de mieux conceptualiser.

1 - Etant donnés…

Une production artistique dans le cadre de la « Loi de la pesanteur ».
Marcel Duchamp produit des objets d'art qui sont avant tout des dispositifs expérimentaux qui prennent place dans une réflexion plus large que la simple production artistique sensible. Cette réflexion, nous l’appelons « la loi de la pesanteur », terme que Marcel Duchamp utilisa plusieurs fois pour qualifier le phénomène de trivialité/gravité qui est au cœur, notamment, du fonctionnement de son diagramme « La mariée mise à nue par ses célibataires même ».
[Voir texte conférence Marc vayer mai 2019]

Des métaphores à propos du statut d'œuvre d’art ?
Marcel Duchamp a transformé ses propres questionnements en productions qui interrogent le statut de l’œuvre d’art et de l’activité artistique et qui retournent les questionnements au public, aux regardeurs. Chacun·e est alors impliqué·e et se pose des questions sur cette question. Mais le dispositif concret, la production matérielle d’images et d’objets se double d'un dispositif métaphoriques organisé en de nombreuses strates.

Diagramme des strates métaphoriques chez MD. [Marc Vayer]
ARTISANAT : Le bricolage soigné, les assemblages, l'empreinte rejouent la partition des arts libéraux vs les arts mécaniques.
MACHINISME : Vision mécaniste comme métaphore des comportements humains automatiques (Bergson).
SEXUALITE : Réaffirmation de la sexualité comme moteur créatif.
ANARTISTE : Position hors de l'art marchandise, conclusion d'une attitude libertaire.
NON REPETITION : Application d'un principe constant qui conduit à l'esprit d'innovation, à l'avant-garde.
VANITE : L'amour propre, l'égo, est mis end éfaut par la tyrannie des processus sociaux.
L'IMMANENCE : Position anti-platonicienne, pas de centre, des amendements et un mouvement perpétuels.
SPIRITUALITE : qui associe intimité de la créativité, analyse des rapports sociaux et présomption de mondes inexpliqués.
Marcel Duchamp, une œuvre dialogique.
En fait, le travail de Duchamp n’est jamais conflictuel, c’est une forme de communication dialogique. Marcel Duchamp, par son type de production volontairement codé, fabrique un « regardeur », c’est à dire quelqu’un qui va participer à la création, non pas de sens comme on l’entend communément, mais comme quelqu’un qui va valider sa « Loi de la pesanteur », c’est à dire un « regardeur » qui va émettre des « jugements de goût », réagir dans un premier temps négativement, puis, en décalage dans le temps, dans un « retard », réagir positivement face à l’œuvre produite. Le « regardeur », chez Marcel Duchamp n’est pas une seule personne, c’est réellement un concept. Physiquement, dans la vraie vie, ce n’est pas toujours la même personne qui refuse puis réhabilite, mais conceptuellement, elles sont confondues.
photo Hermann Landshoff 1954.
Les regardeurs, par soucis de distinction, choisissent des objets qui ont été refusés par le + grand nombre (emplis de conventions, d’apriori, d’idées reçues) et décident que cette œuvre deviendra une œuvre d’art. Le temps est décrit « à l ‘envers » ou « en retard » parce que l’objet est déjà-là, produit sincèrement par un artiste mais qu’il ne devient une œuvre d’art que dans un second temps, par l’action des regardeurs.

Marcel Duchamp en archétype de l’iconologie.
L’iconologie (l’analyse d'image iconologie) consiste à analyser la PICTURE [ˈpɪk.tʃə] elle-même, mais aussi les conditions de production, les conditions de présentation de l'artefact, les différents regards historiques, critiques, techniques, etc. sur la PICTURE [ˈpɪk.tʃə], le devenir de l'artefact. L’iconologie consiste aussi à analyser l’IMAGE [ˈɪmɪʤ] , c’est à dire ce qui nous reste de la production artistique même si celle-ci était détruite. C’est l’ensemble PICTURE [ˈpɪk.tʃə] + IMAGE [ˈɪmɪʤ] qu’en français nous appelons en un seul mot « l’image ».


A : l'artiste produit en objet d'art une PICTURE [ˈpɪk.tʃə], un artefact
B : les regardeurs regardent, commentent et co-fabriquent une IMAGE [ˈɪmɪʤ]
A + B : l’image entre alors, ou non, dans l’histoire de l’art
Un puit de discours sur l’image
Il faudrait faire le tour de la performativité des discours sur le visible, mais ce ne peut être l’objet de ces articles. Citons cependant des références, des pistes, des rapprochements qu’il nous intéresserait de fouiller.
• L’amour ou la haine des images (Iconophilie et iconoclasme) qui sont des phénomènes historiques centraux, point de jonction pour étudier une culture donnée à la fois sous l’angle de ses productions artistiques et de ses conceptions sociales et politiques.
• Comme Mitchell (ICONOLOGIE image, texte, idéologie, W.J.T. Mitchell 1986 Les prairies ordinaires 2009) dépasse le projet d’une Iconologie fondée sur le modèle de la linguistique, il redonne sens à l’interdisciplinarité. Nous lorgnons donc du côté de Bourdieu.
• Nous regardons aussi du côté de Hans Belting, Roland Barthes, David Hockney, Erwin Panofsky, Charles Thunder Pierce, Alfred Gell, Didi Huberman et notoirement son livre sur l’empreinte (La ressemblance par contact, Georges Didi-Huberman - Editions de minuit 2008)
• Anna Arendt : « de la fabrication d’une certaine image à l’art de faire croire à la réalité de cette image ».
• Pour les « Visuals studies », il n’y a pas d’essentialisme de l’image. L’image dépend plus de ce qu’une culture importe dans l’œuvre que de ce qu’elle trouve. Mitchell ne cesse de répéter qu’il n’y a pas de médias purement visuel, seulement des mix de médias. Voir Régis Debray et la Médiologie, qui est une branche française, une tentative de variante française des visual studies.

2 - Les concepts de l’iconologie et MD.

Regardons les 4 grands concepts fondamentaux de l’iconologie et tentons de renverser « la charge de la preuve » et constater comment les productions de Marcel Duchamp sont emblématiques de cette façon d’analyser les images.

A - Picture turn / B - images Picture / C - meta picture / D - biopicture

A - pictural turn (tournant technologique dans la fabrication des artefacts)
L’image n’est pas un média purement visuel. L’image est un ensemble mixte et hybride : sonore, visuel, texte et image + une coordination d’impressions optiques et tactiles.
Le Pictural turn est une figure de penser (trope) qui réapparaît lorsque entre en scène une technologie de reproduction ou un nouvel ensemble d’images associées à des mouvements sociaux, politiques ou esthétiques. Par exemple, la perspective, la peinture de chevalet, l’invention de la photographie, le nombre d’or plutôt que loi de Moïse, etc. On peut ajouter les images des défunts Romains sculptés et peintes (portraits dits du Fayoum) détachées des momies, les « mèmes » sur les médias sociaux « révolution arabe, etc. » ? On peut lire ici les bémols que met André Gunther à l’encontre des « cultural studies ».
La philosophie a toujours été obsédée par le problème de l’image et les philosophies contemporaines ont répondu de diverses manières pour s’en libérer : sémiotique, structuralisme, déconstruction, théorie des systèmes, théorie des actes du langage, philosophie du langage ordinaire, science de l’image ou iconologie critique.
Il y a des tournants idolâtres ou iconoclastes des images. Les billets de banque, la célèbre photographie de Che Guevara, l’histoire des religions est remplie d’exemples comme la destruction des images par les protestants pendant la Renaissance, la destruction des statues géantes des Bouddhas de la vallée de Bâmiyân en 2001, etc.
Le Pictural turn va habituellement des mots aux images mais les plus souvent une image spécifique (un type d’image spécifique) émerge d’une situation historique particulière.
Portait dit "du Fayoum" (environ 100 ap.J.C.) ;  portrait de Che Guevara, (Alberto Korda 1967) ; Moulin à Café (Marcel Duchamp 1911) ; photographie constat destruction de sculptures de Bouddhas (vallée de Bâmiyan 2001)
Exemples d'images au sens du pictural turn. Dans le cas de "Moulin à café" (Marcel Duchamp 1911), il s’agit d’inclure un signe de l’ordre du dessin technique dans une peinture, c’est à dire inclure dans le champ artistique un signe plastique totalement nouveau. ce signe est la trace stylisée du mouvement sous la forme d’un trait avec flèche qui indique une direction, un signe elliptique qui synthétise le mouvement en même temps qu’il l’évoque, présageant la représentation diagrammatique du mouvement (c’est-à-dire graphique, par plans fixes), sa représentation rétinienne étant impossible. Il faudrait voir plus avant si les premiers BDistes de l'histoire, à cette époque utilisaient déjà cette sorte de trace graphique pour exprimer les mouvements — ou non.
« La poudre tombe à côté, les engrenages sont en haut et la poignée est vue simultanément dans plusieurs points de vue de son circuit avec une flèche pour indiquer le mouvement. Sans le savoir, j’avais ouvert une fenêtre sur autre chose » (Interview de Philippe Colin 1968)
« J'ai fait une description du mécanisme. Vous voyez la roue dentée, et vous voyez la poignée rotative au-dessus ; je me suis aussi servi de la flèche pour indiquer dans quel sens la main tournait. Ce n'est pas un moment seulement, ce sont toutes les possibilités du moulin. Ce n'est pas comme un dessin. » "Avec cette petite peinture Duchamp fait un premier pas vers la découverte non pas de la vitesse, mais du possible, non pas du mouvement, mais du devenir, non pas du temps chronologique, mais du temps de l’événement." (Marcel Duchamp et le refus du travail, Maurizio Lazzarato, 2014)
 Marcel Duchamp est un pictural turn à lui tout seul !

B - images Picture. Une PICTURE [ˈpɪk.tʃə] est un objet matériel, une chose que vous pouvez brûler ou abîmer.

L’IMAGE [ˈɪmɪʤ] est ce qui apparaît dans une PICTURE [ˈpɪk.tʃə] qui survit à sa destruction, dans la mémoire, dans le récit, dans des copies ou des traces au sein d’autres médias.

« Fountain » est une illustration très forte, puissante et démonstrative de cette association PICTURE-IMAGE [ˈpɪk.tʃə]-[ˈɪmɪʤ]. L’objet pissotière est l’artefact qui portent en lui plus que lui-même. L’œuvre originale, la PICTURE [ˈpɪk.tʃə], a été perdue, mais ses copies conservent tous les aspects IMAGE [ˈɪmɪʤ]. Même lorsque Pinoncelli [*] détruit une des copies, il a paradoxalement renforcé ce côté IMAGE [ˈɪmɪʤ], en alimentant le récit, en réactivant la mémoire de la production originale. « Fountain » est l’aboutissement d’une pensée ; elle est le produit d’une pensée et cette pensée survie à la disparition éventuelle de la PICTURE [ˈpɪk.tʃə].

Dès lors, La PICTURE [ˈpɪk.tʃə] est l’image telle qu’elle apparaît sur un support matériel ou un endroit donné, PICTURE [ˈpɪk.tʃə] mentale y compris dont l’image apparaît dans un corps, une mémoire, une imagination. L’image n’apparaît jamais sans média. Toutes Une PICTURE [ˈpɪk.tʃə] se fonde comme une métaphore, un « voir comme ». L’IMAGE [ˈɪmɪʤ] peut-être pensée comme une entité immatérielle, une apparence fantomatique mise un jour sur un support matériel.

L’IMAGE [ˈɪmɪʤ] « Fountain » est la pensée immatérielle de Marcel Duchamp, la pensée dispositif expérimental sociologique, matérialisée par la PICTURE [ˈpɪk.tʃə] pissotière. (voir la saga fountain)
[*] Janvier 2006. L'artiste Pierre Pinoncelli, 77 ans, a été arrêté et placé en garde à vue après avoir ébréché à coups de marteau, mercredi 4 janvier, vers 11 h 30, une oeuvre de Marcel Duchamp installée au Centre Pompidou, dans le cadre de l'exposition Dada. "Le dommage n'est pas irréparable", précise le service de communication du Centre, dont les responsables ont porté plainte pour dégradation. Ils parlent en connaissance de cause : La Fontaine de Marcel Duchamp a déjà été restaurée après avoir subi une première fois les foudres de M. Pinoncelli, le 24 août 1993, lors d'une exposition au Carré d'art de Nîmes. L'artiste s'était tout d'abord soulagé dans la sculpture, un urinoir industriel posé tête-bêche, par rapport à son installation d'origine. [...] M. Pinoncelli a déclaré qu'il rendait "sa dignité à l'objet, victime d'un détournement d'utilisation, voire de personnalité". La miction était bénigne, mais l'artiste avait cru déjà nécessaire de briser le mythe à coups de marteau : "Etre redevenu un simple objet de pissotière après avoir été l'objet le plus célèbre de l'histoire de l'art... Son existence était brisée... Il allait traîner une existence misérable... Mieux valait y mettre un terme, à coups de marteau... Pas du tout un geste de vandale, un geste charitable, plutôt..." [...] Plus prosaïquement, La Fontaine de Marcel Duchamp n'existe plus depuis 1917, date à laquelle l'original s'est perdu. Les huit versions aujourd'hui disponibles sont le résultat d'une édition réalisée par l'artiste et le marchand italien Schwartz en 1964. La dernière disponible sur le marché a été vendue à un collectionneur grec en 1999, pour l'équivalent de 1,6 million d'euros. (Harry Bellet, Le Monde, 8 janvier 2006)
Photographie d'Alfred Stieglitz imprimée dans la revue "The Blind Man" mai 1917
Marcel Duchamp n'a cessé de fabriquer des images-picture, des images qui peuvent disparaître ou s'abimer.

 C - meta picture. Elles apparaissent à chaque fois qu’une image exhibe une autre image, à chaque fois qu’une PICTURE [ˈpɪk.tʃə] présente une scène descriptive ou fait apparaître une image, comme lorsqu’un accessoire est mise en évidence dans un produit télévisuelle téléachat figure de Téléachat.

Les Ménines, Velasquez, 1656
"Dans Les Ménines de Diego Vélasquez, le reflet du roi et de la reine dans le miroir du fond compte pour rien. Il est un leurre, une coquetterie d’artiste. Le seul reflet qui vaille, c’est la toile où Vélasquez lui-même fait face au spectateur. Quand un peintre, un photographe, un écrivain réalise un portrait — voire un autoportrait —, ce qu’il peint, photographie ou écrit, c’est le portrait du spectateur ou du lecteur. Le portrait de celui ou celle qui, devant l’œuvre, cherche désespérément à se reconnaître dans des traits qui lui sont étrangers ; qui cherche à se voir dans le miroir d’un autre sans comprendre qu’il regarde, sans voile, la mort en face." Gérard Mordillat Le Monde diplomatique août 2013.

L’allégorie de la caverne de Platon est une METAPICTURE philosophique très élaborée qui fournit un modèle de la nature de la connaissance sous la forme d’un assemblage complexe d’ombres, d’artefacts, d’illumination et de corps perçu. (voir article Métaphores et figures de style)
Idem pour « Etant donnés… : 1° la chute d’eau, 2°le gaz d’éclairage » de Marcel Duchamp qui est une METAPICTURE philosophique très élaborée qui fournit un modèle de l’achèvement du processus sociologique de dépossession de l’artiste par les regardeurs sous la forme d’un assemblage ouvertement affiché, volontairement criard de photographie, de mannequins, de pièces naturelles, d’objets du quotidien, d’ombres, de corps perçus.
Détail de l'installation de "Etant donnés...", Photographie Marcel Duchamp, environ 1965, "Manuel d'instruction pour le montage".
A l'intérieur du diorama de « Etant donnés… : 1° la chute d’eau, 2°le gaz d’éclairage », le personnage central porte à bout de bras un "bec auer" (lampe du début du XXème siècle), un "porteur d'ombre".

Marcel Duchamp fut un producteur inlassable de meta-pictures [Qu'on pense à ses boîtes]

D - biopicture. Un nouveau PICTURAL TURN contemporain. C'est l'apparition du clone, l’idée de la duplication des formes de vie et de la création d’organismes vivants à notre image qui a rendu littérale la potentialité que préfiguraient mythes et légendes, du Golem au cyborg de science-fiction, en passant par Frankenstein et même le récit historique de la création, où Adam est modelé dans l’argile à l’image et à la ressemblance de Dieu avant de recevoir le souffle de vie.

Il nous faut passer par la genèse du "Grand verre" et par des esquisses de Marcel Duchamp pour dire le fil qui va de la vison mécanomorphique à la notion de série.
1912. La mariée mise à nu par les célibataires (pudeur mécanique)
[...] A la Fin du 19e siècle, début du 20e siècle, la machine comme projection érotique est au cœur de l’imaginaire littéraire et artistique. Villiers de L’Isle-Adam, Alfred Jarry, Raymond Roussel, Filippo Tommaso Marinetti, l’auteur du Manifeste futuriste (1909), dont Les Poupées électriques (1905, publié en 1909) transforment un couple en robots mus, non plus par la force vitale, mais par l’électricité. [...] Catalogue Duchamp - Centre Pompidou 2014.

Chez Marcel Duchamp, le premier croquis connu du thème de la Mariée, c’est un dessin de juillet 1912 intitulé La mariée mise à nu par les célibataires (pudeur mécanique). La représentation est mécanomorphique, la Mariée est toute en mouvement et dépouillée de ses vêtements par des célibataires qui l’encadrent.
Pour le dire très simplement, on a là une représentation mécanisée des corps humains, des humains représentés comme des machines qui n'obéïssent qu'à leur "programmation" automatisée. Le désir, l'attraction, la comédie humaine de l'amour est traitée comme un automatisme échappant à la volonté humaine. C'est une des premières représentation graphique de l'idée de "robot" et cette représentation introduit l'idée de "clone", l'idée que les humains sont interchangeables, obéïssant tous aux mêmes "passions mécaniques".

Aussi Marcel Duchamp appliquait cette notion de clone à l'œuvre d'art. "Pharmacie", un de ses premiers ready-made a été  réalisé d'emblée en plusieurs exemplaires. Tous les premiers ready-made, jusqu'à "porte-chapeaux", les ready-made non-aidés, contiennent l'idée de clone dans la mesure où ils sont des objets du quotidien fabriqués en série et donc des ready-made dupliquables. (voir liste de l'intégral des readymade, Marc Vayer)

Enfin, le 6 juin 1964. lors de l'Exposition « Hommage à Marcel Duchamp » à Milan par Arturo Schwarz, le monde de l'art découvre qu'il a été réalisé une Edition de copies de ready-made en 8 exemplaires, signés et numérotés par M.D. Gorsline demande à M.D. de signer un porte-bouteilles qu’il avait trouvé dans une décharge. Duchamp refuse à regret : « Je viens juste de signer à Milan un contrat avec Schwarz, l’autorisant à faire une édition (huit répliques) de tous mes ready-made, y compris le porte-bouteilles. Je me suis donc engagé par écrit à ne plus signer de ready-made, afin de protéger son édition. Mais signature ou pas, votre trouvaille a la même valeur « métaphysique » que n’importe quel ready-made ; il a même l’avantage de ne pas avoir de valeur commerciale ».






Il ne pouvait échapper à Marcel Duchamp que le pictural-turn général de l'art moderne se dépassait lui-même. Aussi fut-il le champion de la biopicture en déplaçant la notion d'original vers la fabrication en série.