"La mariée mise à nu par ses célibataires même" dit "Le grand verre". Reconstitution par Richard Hamilton et "certifiée conforme" par Marcel Duchamp. |
Toute la production de Marcel Duchamp, à partir de l’élaboration en 1915 de son œuvre sur verre La mariée mise à nue par ses célibataires même ne vise qu’un seul objectif : mettre en images, objets, installations et performances y compris, ce qu’il appelle la loi de la pesanteur qui explique le statut nouveau de l’œuvre d’art à l’ère moderne. Pour MD., le parcours de l'œuvre d’art moderne — depuis Manet, connaît selon lui plusieurs étapes : dans un premier temps elle subit un refus, puis, dans un second temps, elle est réhabilitée pour accéder à la postérité. Mais Marcel Duchamp formule en la cryptant volontairement sa théorie de la transformation des objets d’art en chefs-d'œuvres de l'art moderne, créant un code qui brouille les pistes de la compréhension et sur lequel beaucoup se sont cassés les dents.
Il semble que ce code ait été décrypté par Alain Boton dans Marcel Duchamp par lui-même (ou presque) (Editions FAGE 2012].
On suggère à tort que Marcel Duchamp a fait « n’importe quoi », qu’il s’est amusé, est passé du « coq à l’âne », de la peinture au ready-made, de l’écriture au bricolage de boîtes, de la scénographie au travestissement, tout cela de façon légère, dans une logique et une pratique « d’indifférence » aux contextes artistiques et au monde tout court. Le mot DADA, devenu un adjectif, peut avoir le dos très large.
C’est plus ou moins ce qui a été retenu de l’œuvre de MD., faute de trouver une explication cohérente à l’ensemble de ses productions ; lisez les écrits des centaines de critiques et d’historiens des arts qui ont toujours proposé des commentaires ingénieux de leur vision du travail de MD., commentaires souvent interprétatifs, c’est à dire qu’ils sont rapportés à leurs propres obsessions, et toujours parcellaires, c’est à dire que ne sont traités que quelques aspects des travaux de MD., laissant dans l’ombre, inexploré et inexpliqué, tout la logique d’ensemble.
Avec Alain Boton, je postulerais plutôt que M.D. a toujours produit des textes, des images, des objets, des installations, des agencements, avec cohérence, avec des intentions maîtrisées, avec un soucis permanent de précision, en déployant sciemment une pensée et des concepts reliés les uns aux autres.
Mais alors, quel est le sens et le nom de cette variété de formes artistiques, de cette foire aux objets « tout faits » ou rectifiés, de cette prose aux apparences farfelues, de ces travestissements et de ces performances, de cette passion pour les échecs et pour les « bec auer » [c'est une catégorie de bec-de-gaz] ?
LE CODE
Après avoir repéré que Marcel Duchamp met en scène et active plastiquement les réflexions développées dans l’ouvrage de Bergson Le rire, Alain Boton démontre au lecteur que MD., loin de fabriquer des jeux de mots innocents, utilise une association de jeux AVEC les mots [un mot pour un autre] et de signes [un signe à la place d’une idée, d’une situation ou d’une action].
Par exemple, le mot "poil" ou l'utilisation de vrais poils ou le dessin de poils, renvoient toujours, dans la production de MD. au "regard trivial", voir obséquieux, des "regardeurs" des œuvres.
Alain Boton casse le code et non content d’avoir décodé l’essentiel des productions de MD., il nous oriente vers les origines de la « nécessité » qu’a eue MD. de livrer cryptée ce qu'il considère comme une expérience sociologique.
Il semble que ce code ait été décrypté par Alain Boton dans Marcel Duchamp par lui-même (ou presque) (Editions FAGE 2012].
On suggère à tort que Marcel Duchamp a fait « n’importe quoi », qu’il s’est amusé, est passé du « coq à l’âne », de la peinture au ready-made, de l’écriture au bricolage de boîtes, de la scénographie au travestissement, tout cela de façon légère, dans une logique et une pratique « d’indifférence » aux contextes artistiques et au monde tout court. Le mot DADA, devenu un adjectif, peut avoir le dos très large.
C’est plus ou moins ce qui a été retenu de l’œuvre de MD., faute de trouver une explication cohérente à l’ensemble de ses productions ; lisez les écrits des centaines de critiques et d’historiens des arts qui ont toujours proposé des commentaires ingénieux de leur vision du travail de MD., commentaires souvent interprétatifs, c’est à dire qu’ils sont rapportés à leurs propres obsessions, et toujours parcellaires, c’est à dire que ne sont traités que quelques aspects des travaux de MD., laissant dans l’ombre, inexploré et inexpliqué, tout la logique d’ensemble.
Avec Alain Boton, je postulerais plutôt que M.D. a toujours produit des textes, des images, des objets, des installations, des agencements, avec cohérence, avec des intentions maîtrisées, avec un soucis permanent de précision, en déployant sciemment une pensée et des concepts reliés les uns aux autres.
Mais alors, quel est le sens et le nom de cette variété de formes artistiques, de cette foire aux objets « tout faits » ou rectifiés, de cette prose aux apparences farfelues, de ces travestissements et de ces performances, de cette passion pour les échecs et pour les « bec auer » [c'est une catégorie de bec-de-gaz] ?
LE CODE
Après avoir repéré que Marcel Duchamp met en scène et active plastiquement les réflexions développées dans l’ouvrage de Bergson Le rire, Alain Boton démontre au lecteur que MD., loin de fabriquer des jeux de mots innocents, utilise une association de jeux AVEC les mots [un mot pour un autre] et de signes [un signe à la place d’une idée, d’une situation ou d’une action].
Par exemple, le mot "poil" ou l'utilisation de vrais poils ou le dessin de poils, renvoient toujours, dans la production de MD. au "regard trivial", voir obséquieux, des "regardeurs" des œuvres.
Alain Boton casse le code et non content d’avoir décodé l’essentiel des productions de MD., il nous oriente vers les origines de la « nécessité » qu’a eue MD. de livrer cryptée ce qu'il considère comme une expérience sociologique.
« (…) Pour bien marquer le fait qu’il se lance dans une expérience sociologique et non pas dans une simple provocation aveugle, Duchamp va se tenir au plus près des usages de la science expérimentale qui débute toujours une expérience par un protocole prédictif en amont. Les protocoles scientifiques ont cette forme standard : étant donné ceci et cela, si je fais ci et ça, il doit se passer cela. Ensuite on met en pratique l’expérience et on vérifie si les prédictions sont respectées ou non, et donc si l’expérience a validé ou non la théorie. Duchamp se doit donc de concevoir un protocole prédictif et descriptif. Mais, en même temps, s’il veut que son projet soit une véritable expérience, il faut absolument qu’il reste secret. En effet, le comportement des amateurs d’art qu’il est en train de transformer en petits rats de laboratoire serait complètement faussé s’ils savaient qu’ils participent à une expérience, s’ils se savaient étudiés. (...) »
Alain Boton (dans un texte à paraître en anglais)
Nu descendant un escalier n°2 Marcel Duchamp 1912 |
Très simplement, on peut livrer ici les éléments fondateurs de la proposition artistique de MD.
Dans un premier temps, MD. pratique le dessin et la peinture jusqu’à la réalisation de Nu descendant un escalier n°2 en 1912. Refusée alors par ses propres amis pour une exposition au Salon des indépendants de Paris, et quasi ignorée lors de sa présentation au Salon de la section d’or en octobre 1912, cette toile acquiert une célébrité inouïe par le scandale qu’elle provoque aux Etats-Unis, lors de sa présentation à l’Armory Show de New-York, en février 1913.
Sur la base de cette expérience personnelle, allant du refus à la réhabilitation de l’œuvre d’art, Marcel Duchamp arrête de peindre et entreprend la réalisation pendant huit années de La mariée mise à nue par ses célibataires même, autrement appelée par lui le Retard en verre (1), œuvre qui déploie le programme entièrement codé du processus de reconnaissance officielle des œuvres d'art modernes. Cette œuvre est indissociable de la Boite verte, ensemble de notes manuscrites, dessins et autres documents qui ont accompagné, entre 1911 et 1915, le travail préparatoire pour le Grand Verre (2).
Dans la logique du décodage de AB., l'ensemble des readymades, dont le ready-made Fontaine, célébrissime objet icône de l’art contemporain, n’est plus qu’un des éléments de la démonstration de Marcel Duchamp.
Lors de sa présentation au salon de la Société des Artistes Indépendants à New-York en 1917, Marcel Duchamp, co-organisateur de la manifestation, fait en sorte que Fontaine soit relégué et refusé, puis élabore un processus de réhabilitation qui se concrétise dans les années 60, lorsque des répliques de l’objet (l’original étant depuis longtemps perdu) sont exposées et vendues sur le marché de l’art.
Dans un premier temps, MD. pratique le dessin et la peinture jusqu’à la réalisation de Nu descendant un escalier n°2 en 1912. Refusée alors par ses propres amis pour une exposition au Salon des indépendants de Paris, et quasi ignorée lors de sa présentation au Salon de la section d’or en octobre 1912, cette toile acquiert une célébrité inouïe par le scandale qu’elle provoque aux Etats-Unis, lors de sa présentation à l’Armory Show de New-York, en février 1913.
Sur la base de cette expérience personnelle, allant du refus à la réhabilitation de l’œuvre d’art, Marcel Duchamp arrête de peindre et entreprend la réalisation pendant huit années de La mariée mise à nue par ses célibataires même, autrement appelée par lui le Retard en verre (1), œuvre qui déploie le programme entièrement codé du processus de reconnaissance officielle des œuvres d'art modernes. Cette œuvre est indissociable de la Boite verte, ensemble de notes manuscrites, dessins et autres documents qui ont accompagné, entre 1911 et 1915, le travail préparatoire pour le Grand Verre (2).
Dans la logique du décodage de AB., l'ensemble des readymades, dont le ready-made Fontaine, célébrissime objet icône de l’art contemporain, n’est plus qu’un des éléments de la démonstration de Marcel Duchamp.
Lors de sa présentation au salon de la Société des Artistes Indépendants à New-York en 1917, Marcel Duchamp, co-organisateur de la manifestation, fait en sorte que Fontaine soit relégué et refusé, puis élabore un processus de réhabilitation qui se concrétise dans les années 60, lorsque des répliques de l’objet (l’original étant depuis longtemps perdu) sont exposées et vendues sur le marché de l’art.
Le grand mérite de la démonstration de AB., c’est de révéler la grande cohérence de l’œuvre jusque là tronçonnée en de multiples interprétations hasardeuses, comico-grotesques ou pédantes. Si l’on veut bien comprendre, admettre et postuler avec Alain Boton que le travail de Marcel Duchamp est entièrement codé, la somme des signes auquel nous confronte son œuvre prend son sens au fur et à mesure que le code est décrypté.
Les différents ready-made et l’ensemble de la production de M.D. jusqu’à la fin de sa vie, en parallèle et à la suite du Grand verre, se dévoilent comme une succession d’éléments qui viennent confirmer la description duchampienne de la reconnaissance officielle des chefs-d'œuvres de l'art moderne. Au vu de la multiplicité des pièces et de la variété des approches, Marcel Duchamp est alors présenté comme le plus accompli des anthropologues de l'art contemporain.
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Dans ce chapitre#1, nous avons énoncé l’hypothèse que l'ensemble des productions de M.D étaient conçues et réalisées au service d'une expérimentation sociologique menée tout au long de sa vie et portant sur le statut de l'œuvre d'art moderne. Vous pouvez maintenant passer directement au chapitre #2 du dévoilement : L'éclectisme et le cabinet de curiosité.
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(1) Duchamp nommait son travail sur la mariée le « retard en verre ». Ce n’est donc pas un tableau au sens classique du terme, c’est un retard. Et ce terme « retard » indique que ce travail n’est pas à regarder comme un tableau, mais comme une schéma explicatif du processus créatif et ne peut être compris qu’après avoir été lu. Ce n’est donc pas un tableau à regarder immédiatement pour être compris immédiatement, mais un "retard" à lire pour être compris … avec un temps de retard.
(2) (…) La Boîte verte fut publiée en 1934 à trois cents exemplaires par les Éditions Rose Sélavy, 18, rue de la Paix. Rrose Sélavy étant une signature ironique de Marcel Duchamp lui-même, il s’agit donc d’une publication à compte d’auteur de quatre-vingt-trois notes manuscrites, dessins et autres documents qui ont accompagné, entre 1911 et 1915, le travail préparatoire pour le « Grand Verre », réalisé, lui, entre 1915 et 1923, les deux portant le titre : La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Il faut bien s’entendre sur le terme « publication », car il y a ambiguïté. Il s’agit d’une impression en phototypie (collotype en anglais), une technologie utilisée notamment pour l’impression des anciennes cartes postales ; c’est donc à l’aide d’un procédé industriel que Duchamp a choisi de réaliser les fac-similés des notes et dessins sur des bouts de papiers, de qualité et de nature variant d’une feuille à l’autre. Certains documents ont été imprimés en plusieurs couleurs pour restituer les traits de crayons rouges ou bleus, et la planche représentant les « 9 Moules Mâlic » a été coloriée au pochoir. (…) En parlant de La Boîte de 1914, qui a précédé La Boîte verte, Marcel Duchamp précise : « Je voulais que cet album aille avec le Verre et qu’on puisse le consulter pour voir le Verre parce que, selon moi, il ne devait pas être regardé au sens esthétique du mot. Il fallait consulter le livre et les voir ensemble. La conjonction des deux choses enlevait tout le côté rétinien que je n’aime pas »
http://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-pratiques-poetiques/incertain-sens/programmation_archives_duchamp.htm
cœurs volants [1936] |