Avant de continuer à décoder le travail de Marcel Duchamp, il faut sonder la grande diversité de ses productions et, paradoxalement, comprendre que cet éclectisme révèle une même pensée, un même projet tenu par lui de 1913 jusqu'à l’année de sa mort en 1968.
Deux des pièces emblématiques du travail de Marcel Duchamp, deux pièces qui jouent ostensiblement avec le regard du spectateur, nous témoignent de la diversité des moyens qu'il met en œuvre pour évoquer les mêmes problématiques.
1/ De 1915 à 1923, M.D. réalise « La mariée mise à nue par ses célibataires même », dit « Le grand verre ». C'est une "peinture" (en réalité des fils de plombs, de la poussière, ... toutes sortes de médiums) sur 2 grands panneaux de verre. Ce grand verre se révèle désormais être l'illustration de la Loi de la pesanteur, de l'idée duchampienne que l'art moderne se caractérise par le fait que des objets d'art peuvent accéder au rang de chef d'œuvre par le jeu des regardeurs et de la postérité. Les regardeurs sont représentés sous la forme des "moules malics", dits aussi les "9 célibataires", en bas à gauche du grand verre ; la postérité est représentée par le "voile de la mariée" en haut au centre. Tout ceci décrit le programme, le mode d'emploi de l'art moderne.
2/ De 1946 à 1966, M.D. réalise dans le secret de son atelier "Etant donnés...". C'est une installation, un diorama qu'on ne peut voir que si l'on regarde par un petit trou creusé dans une grosse porte en bois. Cette installation, avec des moyens plastiques différents (mannequin en peau de chien, objets réels, briques,...), illustre la même idée duchampienne de la loi de la pesanteur, de la mécanique de l'accession d'objets d'art au rang de chefs-d'œuvres. Marcel Duchamp a volontairement fait dévoiler de façon posthume cette dernière œuvre.
L'ensemble des critiques d'art s'accorde sur le point que ces deux œuvres renvoient aux mêmes idées.
Nous décrirons précisément dans de prochains articles ces deux travaux, mais on peut comprendre ici que tous les deux, avec des moyens plastiques différents expriment et racontent, la même idée : ce sont des mises en scène du processus d'accession d'objets au rang d'œuvre d'art, elles décrivent la mécanique qui conduit n'importe quel objet à devenir une œuvre d'art — pour peu qu'il soit choisi par les "regardeurs" — et accède ainsi à la postérité : la Loi de la pesanteur, telle que l'appelle Marcel Duchamp.
Si nous disons que Duchamp n’est pas un artiste, c’est qu’il a travaillé en sociologue — voire en anthropologue — pour mener une expérience, en agissant avec les moyens d’un artiste. Marcel Duchamp, par une association permanente de moyens plastiques et textuels, étudie les comportements humains dans le champ de l’art et bien plus encore dans le champ des relations sociales en relation avec à l’amour propre, les jugements du goût, l’art comme marchandise, etc.
Et cette étude passe pour Marcel Duchamp, par une expérimentation à grande échelle, qui s’étale sur toute sa vie. La très grande majorité de ses productions se rapporte à cette expérience et, pour le dire autrement, il a toujours évoqué et mis en scène cette expérience avec des moyens différents. Cette diversité de production, cette variété plastique et les innovations conceptuelles sont le signe d’une volonté incessante de déployer une même pensée avec des moyens sans cesse renouvelés.
On pourrait formuler l'expérience mise en œuvre par Marcel Duchamp simplement : Montrer que n'importe quel objet d'artiste peut accéder au rang de chef d'œuvre sous condition qu'il soit refusé par le plus grand nombre puis réhabilité par quelques-uns.
La biographie de Marcel Duchamp et la chronologie de ses productions permettent de percevoir plus clairement le moment où il abandonne son statut d'artiste au profit de celui d'anthropologue.
Ce mur d'images permet de visualiser une partie de la variété plastique des productions de Marcel Duchamp tout au long de sa vie, entre readymades, graphismes, scénographies et musée portatif.
Deux des pièces emblématiques du travail de Marcel Duchamp, deux pièces qui jouent ostensiblement avec le regard du spectateur, nous témoignent de la diversité des moyens qu'il met en œuvre pour évoquer les mêmes problématiques.
1/ De 1915 à 1923, M.D. réalise « La mariée mise à nue par ses célibataires même », dit « Le grand verre ». C'est une "peinture" (en réalité des fils de plombs, de la poussière, ... toutes sortes de médiums) sur 2 grands panneaux de verre. Ce grand verre se révèle désormais être l'illustration de la Loi de la pesanteur, de l'idée duchampienne que l'art moderne se caractérise par le fait que des objets d'art peuvent accéder au rang de chef d'œuvre par le jeu des regardeurs et de la postérité. Les regardeurs sont représentés sous la forme des "moules malics", dits aussi les "9 célibataires", en bas à gauche du grand verre ; la postérité est représentée par le "voile de la mariée" en haut au centre. Tout ceci décrit le programme, le mode d'emploi de l'art moderne.
Photographie de Hermann Landshoff en 1954 + Le grand verre exposé au Philadelphia Museum of Art |
Des visiteurs regardent au travers de la porte d'Etant donné... au Philadelphia Museum of Art + ce que l'on peut voir au travers du trou. |
Jean Suquet a bien montré la relation entre le Grand verre et Etant donnés... par ce photomontage nous montrant superposés les différents éléments des deux œuvres. |
Si nous disons que Duchamp n’est pas un artiste, c’est qu’il a travaillé en sociologue — voire en anthropologue — pour mener une expérience, en agissant avec les moyens d’un artiste. Marcel Duchamp, par une association permanente de moyens plastiques et textuels, étudie les comportements humains dans le champ de l’art et bien plus encore dans le champ des relations sociales en relation avec à l’amour propre, les jugements du goût, l’art comme marchandise, etc.
Et cette étude passe pour Marcel Duchamp, par une expérimentation à grande échelle, qui s’étale sur toute sa vie. La très grande majorité de ses productions se rapporte à cette expérience et, pour le dire autrement, il a toujours évoqué et mis en scène cette expérience avec des moyens différents. Cette diversité de production, cette variété plastique et les innovations conceptuelles sont le signe d’une volonté incessante de déployer une même pensée avec des moyens sans cesse renouvelés.
On pourrait formuler l'expérience mise en œuvre par Marcel Duchamp simplement : Montrer que n'importe quel objet d'artiste peut accéder au rang de chef d'œuvre sous condition qu'il soit refusé par le plus grand nombre puis réhabilité par quelques-uns.
La biographie de Marcel Duchamp et la chronologie de ses productions permettent de percevoir plus clairement le moment où il abandonne son statut d'artiste au profit de celui d'anthropologue.
1901 Suzanne en kimono par Marcel Duchamp (14 ans) |
1910 portrait de M. Duchamp père par Marcel Duchamp (23 ans) |
A partir de 1908, il commence à exposer des toiles aux Salons d’automne et aux Salons des indépendants. Il se joint souvent aux activités du groupe de cubistes dit « de Puteaux » dont fait partie son frère peintre, et aussi Albert Gleizes, Fernand Léger, Jean Metzinger mais aussi Apollinaire. Durant cette période, il explore de nombreuses factures picturales, entre cubisme, fauvisme, symbolisme, etc.
1911 Courant d'air sur un pommier du Japon par Marcel Duchamp |
« Je reconnais que l’incident du Nu descendant un escalier aux Indépendants a déterminé en moi, sans même que je m’en rende compte, une complète révision de mes valeurs. »Fin juin 1912, Marcel Duchamp entreprend un voyage à Munich, où il retrouve son ami le peintre allemand Max Bergmann. Dans ce nouveau contexte intellectuel, artistique et scientifique, il commence à concevoir le plan du Grand Verre.
Robert Lebel [1959], « Marcel Duchamp, maintenant et ici », [page 6] in Sur Marcel Duchamp, Paris, fac-similé de l'édition Trianon, éditions du Centre Georges Pompidou-Mazzotta, 1996.
Entre temps, son tableau « Nu descendant un escalier » est exposé à l’Armory show à New-York, Chicago et Boston et provoque un grand scandale. [La description et le décryptage de ce tableau sont réalisés dans le chapitre #3]
En 1913, Marcel Duchamp travaille comme bibliothécaire à Sainte-Geneviève jusqu’à mai 1915, date à laquelle il part à New-York. C’est pendant cette période qu’il concevra et mettra en œuvre le programme de ses readymades qui, dans notre esprit, sont des productions qui viennent éclairer, confirmer, alimenter la réflexion développée dans « Le grand verre ».
1915 In advance of the broken arm (En prévision du bras cassé) Ready-made ré-édité. |
Vous pouvez aussi cliquer sur ce lien pour lire la frise chronologique de la création des readymades
Pour finir, notons pour le plaisir la liste des activités que Marcel Duchamp va poursuivre jusqu’à la fin de sa vie.
- Il co-fonde différentes revues et collabore à d'autres,
- il réalise ses readymades — la plupart du temps, ce sont des cadeaux qu’il fait à ses amis,
- il invente et met en scène un personnage fictif : « Rrose Sélavy »,
- il conseille de nombreux collectionneurs d’art,
- il organise des expositions et vend les pièces de son ami sculpteur Brancusi,
- il est le scénographe des expositions surréalistes internationales,
- il réalise des « rotoreliefs », disques animés et les met en scène dans un film,
- il fabrique de nombreuses boîtes récapitulatives de ses différentes créations,
- il joue aux échecs jusqu’à participer à des compétitions internationales,
- il conçoit et réalise de nombreuses couvertures de magazines et livres,
- il collabore à l’écriture de nombreux ouvrages,
- il engage un travail sur vingt années pour réaliser l’installation « Etant donnés… »
- il cofonde les galeries et musées d'art moderne
- il pose les bases de la scénographie en whitebox
- puis, à la fin de sa vie, il collabore à des ré-éditions de plusieurs de ses readymades et sacrifie à de nombreux interviews et rétrospectives de son travail.
Vous pouvez maintenant vous rendre directement directement au chapitre #3 de l'explication : L'automate et la spirale.
cœurs volants [1936] |