1937 Portrait de Marcel Duchamp, rue Larrey, par Denise Bellon |
Né en 1887, Marcel Duchamp, est un peintre reconnu par ses pairs cubistes et modernes jusqu’à ce que l’une de ses toiles, Nu descendant un escalier, soit refusée par ses propres amis lors d’un accrochage à Paris. La toile est cependant exposée lors de l’Armory show, le premier grand salon artistique des Etats-Unis en 1913. A cette occasion, la peinture jouit d’une célébrité paradoxale puisqu’elle est la risée du grand public américain (un personnage nu mécanisé, une décomposition des formes encore jamais vue, le titre peint à même le tableau) mais qu’elle est appréciée et vantée par quelques esthètes.
Duchamp cesse alors de peindre et s’engage dans une expérimentation autour de ce qu’il nomme Loi de la pesanteur, loi qu’il ne cesse de mettre en scène jusqu’à la fin de sa vie, en 1968. Selon Duchamp, la Loi de la pesanteur est le dispositif social par lequel un objet produit par un artiste ne devient une œuvre d’art et n’accède à la postérité que s’il est dans un premier temps refusé par le plus grand nombre puis réhabilité par quelques-uns.
En 1917, pour démontrer cette loi, Marcel Duchamp met en place une expérimentation radicale qui consiste à faire advenir un objet déjà tout-trouvé (un urinoir du commerce) en objet d’art tout-fait - ready-made - par la grâce du processus sociologique de la Loi de la pesanteur.
Marcel Duchamp avait déjà imaginé le terme de readymade en 1913 pour qualifier des objets choisis par lui afin de montrer que n’importe quel objet peut accéder au statut d’œuvre d’art, pour peu qu’il soit proposé par quelqu’un qui se réclame artiste et qu’il soit « validé » par un petit nombre d’esthètes.
En 1917 donc, Marcel Duchamp est le co-organisateur d’une exposition dont il a proposé lui-même le règlement : contre une participation financière symbolique, n’importe qui peut proposer n’importe quelle œuvre. Sous un pseudonyme, Marcel Duchamp fait proposer un urinoir manufacturée signée R.Mutt et appelé Fontaine. Malgré le règlement en place, le jury de sélection dont Duchamp fait également partie refuse l’objet. Marcel Duchamp démissionne alors de l’organisation, fait photographier l’objet par le plus célèbre photographe de l’époque Alfred Stieglitz et créé un magazine The Blind Man, dans lequel, toujours sous pseudonyme, il fait l’apologie de Fontaine. Marcel Duchamp a tout fait pour que l’objet soit refusé, mais il a aussi tout fait pour que cet objet reste dans les annales de l’histoire de l’art. Perdu et jamais montré, cet objet est pourtant réhabilité quarante années plus tard par quelques galeristes et critiques d’art et ses versions copiées sont exposées dans les musées du monde entier.
Simultanément à cette expérimentation, pendant huit années, de 1915 à 1923, Marcel Duchamp exécute une grande image sur verre intitulée La mariée mise à nu par ses célibataires même également appelée Le Grand verre. Ce travail se révèle être le diagramme, la mise en image de la Loi de la pesanteur. Mais Marcel Duchamp code ce diagramme et utilise une métaphore mécaniste et sexuelle pour le mettre en image. Pour se faire, Marcel Duchamp invente un langage qu’il nomme lui-même le nominalisme, constitué de mots et de visuels qu’il utilise comme des quasi-rébus. Ce code a très clairement été mis à jour par Alain Boton dans son ouvrage Marcel Duchamp par lui-même, ou presque - éditions FAGE 2012). Pour exemples, dans Le Grand verre, l’artiste est représenté sous la forme de mécanisme en perspective, les esthètes qui réhabilitent les objets d’art sont représentés par des uniformes et appelés les célibataires, le processus de réhabilitation est représenté par des tamis fabriqués avec de la poussière, l’accession à la postérité est représentée par neufs trous, etc. La métaphore sexuelle est celle de célibataires qui dévoilent, qui mettent à nue la mariée et ainsi l’insémine pour la faire accéder à la postérité.
Conjointement à cette réalisation, Marcel Duchamp produit ce qu’il appelle donc des readymades, des objets ou des matériaux déjà existants sur lesquels il appose un titre/texte et une signature et qu’il offre la plupart du temps à ses amis, hors des circuits marchands de l’art. Ces readymades font partie du dispositif expérimental mis en œuvre par Marcel Duchamp pour démontrer la Loi de la pesanteur. Dans ce sens, ils contiennent tous des indices codés. Par exemple, et toujours selon le décodage mis en lumière par Alain Boton, à propos d’un des premiers readymade Porte-bouteilles : « Un porte-bouteille sert à vider les bouteilles de leurs dernières gouttes après nettoyage. On peut dire qu’il sert à séparer définitivement la bouteille du liquide qu’elle contenait. Or (…) chez Duchamp le liquide représente le jugement de goût et le récipient l’œuvre de l’artiste (tous les récipients, l’urinoir mais aussi les très nombreuses bouteilles que l’on trouve dans sa création). Ainsi le porte-bouteille est l’image même des intentions de Duchamp : séparer ce qui appartient au regardeur, son jugement de goût et comment il fonctionne, et ce qui appartient à l’artiste, à peu près rien, un réceptacle vide. »
Ainsi, jusqu’à la fin de sa vie et souvent par l’intermédiaire de son alter-ego inventé Rrose Sélavy, Marcel Duchamp dispersera autant d’indices qu’il produira d’images, d’installations, de scénographies, d’illustrations, d’éditions magazine ou livres, d’artefacts de ses œuvres, de textes, etc.
Sa dernière production Etant donné 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage…, travaillée pendant près de vingt années, absolument secrète de son vivant et installée posthumement au musée d’art moderne de Philadephie (USA), est une installation, un diorama qui ne peut être regardé par les spectateurs que par deux petits trous creusés dans une porte en bois massive. On y discerne, entre autres, le mannequin d’une femme nue, les jambes écartées, tenant dans une main un Bec auer, une lanterne du début du XXème siècle, sur fond de chute d’eau.
Cette installation est l’ultime mise en image par Marcel Duchamp de la Loi de la pesanteur, dans une mise en scène sépulcrale du mécanisme de la postérité dévoilée.
Duchamp cesse alors de peindre et s’engage dans une expérimentation autour de ce qu’il nomme Loi de la pesanteur, loi qu’il ne cesse de mettre en scène jusqu’à la fin de sa vie, en 1968. Selon Duchamp, la Loi de la pesanteur est le dispositif social par lequel un objet produit par un artiste ne devient une œuvre d’art et n’accède à la postérité que s’il est dans un premier temps refusé par le plus grand nombre puis réhabilité par quelques-uns.
En 1917, pour démontrer cette loi, Marcel Duchamp met en place une expérimentation radicale qui consiste à faire advenir un objet déjà tout-trouvé (un urinoir du commerce) en objet d’art tout-fait - ready-made - par la grâce du processus sociologique de la Loi de la pesanteur.
Marcel Duchamp avait déjà imaginé le terme de readymade en 1913 pour qualifier des objets choisis par lui afin de montrer que n’importe quel objet peut accéder au statut d’œuvre d’art, pour peu qu’il soit proposé par quelqu’un qui se réclame artiste et qu’il soit « validé » par un petit nombre d’esthètes.
En 1917 donc, Marcel Duchamp est le co-organisateur d’une exposition dont il a proposé lui-même le règlement : contre une participation financière symbolique, n’importe qui peut proposer n’importe quelle œuvre. Sous un pseudonyme, Marcel Duchamp fait proposer un urinoir manufacturée signée R.Mutt et appelé Fontaine. Malgré le règlement en place, le jury de sélection dont Duchamp fait également partie refuse l’objet. Marcel Duchamp démissionne alors de l’organisation, fait photographier l’objet par le plus célèbre photographe de l’époque Alfred Stieglitz et créé un magazine The Blind Man, dans lequel, toujours sous pseudonyme, il fait l’apologie de Fontaine. Marcel Duchamp a tout fait pour que l’objet soit refusé, mais il a aussi tout fait pour que cet objet reste dans les annales de l’histoire de l’art. Perdu et jamais montré, cet objet est pourtant réhabilité quarante années plus tard par quelques galeristes et critiques d’art et ses versions copiées sont exposées dans les musées du monde entier.
Simultanément à cette expérimentation, pendant huit années, de 1915 à 1923, Marcel Duchamp exécute une grande image sur verre intitulée La mariée mise à nu par ses célibataires même également appelée Le Grand verre. Ce travail se révèle être le diagramme, la mise en image de la Loi de la pesanteur. Mais Marcel Duchamp code ce diagramme et utilise une métaphore mécaniste et sexuelle pour le mettre en image. Pour se faire, Marcel Duchamp invente un langage qu’il nomme lui-même le nominalisme, constitué de mots et de visuels qu’il utilise comme des quasi-rébus. Ce code a très clairement été mis à jour par Alain Boton dans son ouvrage Marcel Duchamp par lui-même, ou presque - éditions FAGE 2012). Pour exemples, dans Le Grand verre, l’artiste est représenté sous la forme de mécanisme en perspective, les esthètes qui réhabilitent les objets d’art sont représentés par des uniformes et appelés les célibataires, le processus de réhabilitation est représenté par des tamis fabriqués avec de la poussière, l’accession à la postérité est représentée par neufs trous, etc. La métaphore sexuelle est celle de célibataires qui dévoilent, qui mettent à nue la mariée et ainsi l’insémine pour la faire accéder à la postérité.
Conjointement à cette réalisation, Marcel Duchamp produit ce qu’il appelle donc des readymades, des objets ou des matériaux déjà existants sur lesquels il appose un titre/texte et une signature et qu’il offre la plupart du temps à ses amis, hors des circuits marchands de l’art. Ces readymades font partie du dispositif expérimental mis en œuvre par Marcel Duchamp pour démontrer la Loi de la pesanteur. Dans ce sens, ils contiennent tous des indices codés. Par exemple, et toujours selon le décodage mis en lumière par Alain Boton, à propos d’un des premiers readymade Porte-bouteilles : « Un porte-bouteille sert à vider les bouteilles de leurs dernières gouttes après nettoyage. On peut dire qu’il sert à séparer définitivement la bouteille du liquide qu’elle contenait. Or (…) chez Duchamp le liquide représente le jugement de goût et le récipient l’œuvre de l’artiste (tous les récipients, l’urinoir mais aussi les très nombreuses bouteilles que l’on trouve dans sa création). Ainsi le porte-bouteille est l’image même des intentions de Duchamp : séparer ce qui appartient au regardeur, son jugement de goût et comment il fonctionne, et ce qui appartient à l’artiste, à peu près rien, un réceptacle vide. »
Ainsi, jusqu’à la fin de sa vie et souvent par l’intermédiaire de son alter-ego inventé Rrose Sélavy, Marcel Duchamp dispersera autant d’indices qu’il produira d’images, d’installations, de scénographies, d’illustrations, d’éditions magazine ou livres, d’artefacts de ses œuvres, de textes, etc.
Sa dernière production Etant donné 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage…, travaillée pendant près de vingt années, absolument secrète de son vivant et installée posthumement au musée d’art moderne de Philadephie (USA), est une installation, un diorama qui ne peut être regardé par les spectateurs que par deux petits trous creusés dans une porte en bois massive. On y discerne, entre autres, le mannequin d’une femme nue, les jambes écartées, tenant dans une main un Bec auer, une lanterne du début du XXème siècle, sur fond de chute d’eau.
Cette installation est l’ultime mise en image par Marcel Duchamp de la Loi de la pesanteur, dans une mise en scène sépulcrale du mécanisme de la postérité dévoilée.
Equation de la postérité par MV