K. A. et M. D.

Kader Attia et Marcel Duchamp

Un beau paradoxe — que Marcel Duchamp lui-même n’aurait peut-être pas renié — vient de se vivre ces derniers jours : le « prix Marcel Duchamp » 2016 a été attribué à Kader Attia.

Marcel Duchamp devant la "Mariée mise à nue par ses célibataires même" [1925] en 1966 par Gianfranco BARUCHELLO. Sur deux grandes plaques de verre sont dessinées des figures représentant le processus de réhabilitation des œuvres d'art, de leur création et de leur choix par les "célibataires dans la partie du bas, jusqu'à l'accession à la postérité sous les traits de la "mariée", dans la partie du haut.

Etant donnés 1°, le « prix Marcel Duchamp » : ses initiateurs, — des collectionneurs associés au Centre Pompidou — se revendiquent outrageusement du nom de Marcel Duchamp depuis l’année 2000. Ce nom même, devient ainsi le signe, la marque d’un dispositif de désignation institutionnel de l’Artiste avec un grand A. Et pourtant, toute sa vie, Marcel Duchamp n’a cessé, avec des moyens différents, de montrer — s’opposer à ? — l’appauvrissement générée par ce type de processus qu’il appelait « la loi de la pesanteur », une loi de qualification des un(e)s et de disqualification des autres.
« (…) par le « ready-made » [Marcel Duchamp] démontre méta-ironiquement son pouvoir incontestable d’être cru sur parole qui est le privilège de l’artiste intégral, alors que tant d’autres doivent accumuler, au prix de dégradants efforts manuels, les preuves tangibles de leur « talent ». Si, par crainte de n’être pas reconnue, la fourmi artiste, cédant à l’obsession du travail et de la productivité, vit dans un état permanent de mendicité à l’égard du public, des critiques et des acquéreurs, l’artiste intégral, se situant à l’origine de toute valeur, n’a pas à faire confirmer la sienne par les autres. Il lui suffit, pour l’assurer, d’en conférer le sceau à des objets choisis qui deviennent ses œuvres par la grâce de cette unique impostion des mains. C’est ce que Duchamp nomme le « côté exemplaire » du « ready-made ».
Sur Marcel Duchamp Robert Lebel (1959) Editions MAMCO (2015)
 
Deux des nombreuses facettes de la production de Kader Attia "Réfléchir la mémoire". Une série de photographie, vidéos, sculptures, ready-made forment un ensemble hétéroclite, une installation labyrinthe qui évoque la notion de réparation [2016]

Etant donnés 2°, « l’artiste Kader Attia » : sans se revendiquer lui-même de la démarche de Marcel Duchamp, Kader Attia semble un des plus proches, finalement, de la démarche réelle de celui-ci. Après qu’il ait cessé de se comporter comme un artiste, à partir de 1912, Marcel Duchamp devient un anthropologue, un sociologue, un philosophe. Le Grand verre autrement nommé par Marcel Duchamp La mariée mise à nue par ses célibataires même, est le diagramme de la « loi de la pesanteur », dessiné sous la forme de la métaphore du dévoilement et de l’insémination.
De la même façon, Kader Attia file la métaphore de « membres amputés » qui peuvent encore faire souffrir ceux qui les ont perdus, pour évoquer la notion de « réparation » sous la forme d’un labyrinthe peuplés d’objets et de sculptures.
Toute discussion avec Kader Attia glisse vite vers l’anthropologie et l’ethnologie, la psychanalyse, la philosophie et l’architecture. Traquant les refoulés de l’Histoire, l’artiste a cristallisé depuis quinze ans ses recherches autour d’un thème, la réparation. Réparation à prendre au sens propre, avec les « gueules cassées » de la première guerre mondiale et les sculptures africaines suturées ou agrafées, mais aussi au sens figuré de dédommagement. Peut-on panser une blessure mémorielle ou physique ? Une prothèse pallie-t-elle la perte et l’incomplétude ? Doit-on vivre avec le souvenir d’un membre fantôme, ou accepter son irrévocable disparition ?
Article du quotidien Le monde oct 2016

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Sur Kader Attia
La vallée du M'zab prend place au Guggenheim Huffington post
Mais qui est donc Kader Attia ? | The Creators Project
L’art de Kader Attia (Emission Boomerang sur France Inter)
Dans la tête de Kader Attia (NOVA)

Réinvention et reconstruction chez Kader Attia (Thibault Boulvain 2013)

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Petite revue de presse

Kader Attia prend sa revanche sur le prix Duchamp - Culture / Next
La deuxième fois a été la bonne pour Kader Attia. Finaliste malheureux en 2005, l’artiste, né en 1970, vivant à Berlin et à Alger, remporte le Prix Marcel Duchamp, créé en 2000 à l’initiative de l’Association pour la défense de l’art français (Adiaf), et dont l’exposition se tient pour la première fois au centre Pompidou. (…)
On peut pourtant se demander pourquoi celui-là est lauréat en 2016 et pourquoi pas plutôt dès 2005 ? On en est réduit aux hypothèses, et toutes ouvrent des questions abyssales sur ce qu’est le jugement en art, le monde de l’art en France, voire la France tout court. La première, la plus logique (qui ne résout pas tout), serait de se convaincre que le travail de l’artiste est meilleur aujourd’hui qu’il n’était hier. Qu’il a gagné en audace, en formes, en surfaces, qu’il s’est étoffé. Or, il n’est jamais simple d’avoir plusieurs vies en art à l’heure où le marché s’accélère et où une des principales qualités des artistes est l’endurance. Mais, c’est aussi à coup sûr le monde de l’art en France et la réception du travail de Kader Attia qui a changé, et celle plus globalement des travaux sur les sujets du postcolonialisme et de l’identité. Il reste certes pas mal de boulot. Judicaël Lavrador
Kader Attia, un artiste rebouteux lauréat du prix Marcel Duchamp 2016 - Arts et scènes - Télérama.fr
A travers un labyrinthe associant les formes les plus diverses de la représentation, tentant de suturer les fragments d’un monde atrophié, Kader Attia propose un portrait de l’artiste en rebouteur », déclarait Bernard Blistène, président du jury, lors du discours de remise du seizième Prix Marcel Duchamp à l’artiste, le 18 octobre 2016. Il était temps. Déjà nommé en 2005, année ou Claude Closky  fut lauréat, Kader Attia explore depuis 1996 les répercussions du colonialisme sur les cultures extra-occidentales.
Né à Dugny (Seine Saint Denis) en 1970 et Berlinois d’adoption, Kader Attia est notamment connu pour « Ghost », une installation monumentale composée de plus de cinq cents priants en papier aluminium, des clones encapuchonnés, sans corps ni visage. Avec cette armée fantomatique, présentée à Lille en 2010 par le collectionneur londonien Charles Saatchi, il est déjà question de l’identité culturelle, de l’uniformisation et de l’aliénation de l’individu.
Kader Attia reçoit le prix Marcel Duchamp - Les Inrocks
L’artiste franco-algérien Kader Attia vient d’obtenir le prestigieux prix Marcel Duchamp. (…) Artiste érudit, passionné d’anthropologie, de philosophie, fasciné par l’histoire, Kader Attia  travaille depuis depuis quinze ans autour du thème de la réparation, “gueules cassées” de la Première Guerre mondiale ou sculptures africaines suturées ou agrafées, mais aussi au sens figuré de dédommagement.
Animé par une haute idée de l’art auquel il veut rendre “toute sa dimension complexe, absolue et inattendue, loin de la cacophonie annihilante de notre monde saturé de faux désirs et de certitudes… ”.
Kader Attia, lauréat du Prix Marcel-Duchamp 2016 - La Croix
Inquiet de voir ses contemporains perdus dans un « monde amnésique » qui refuse de se confronter à son histoire et à ses fantômes par « peur du passé », Kader Attia s’interroge sur la manière dont l’homme peut réparer son corps, réel ou symbolique. Ainsi, dans son installation intitulée « Réfléchir la mémoire », il file la métaphore avec ces « membres amputés » qui peuvent encore faire souffrir ceux qui les ont perdus, comme le constataient patients et médecins, notamment au lendemain de la Guerre de 1914…
Entouré de sculptures, un film documentaire où interviennent des scientifiques, psychanalystes, chirurgiens, artistes… constitue le centre de gravité de l’œuvre couronnée par le Prix Marcel-Duchamp.
Arts plastiques : le Franco-Algérien Kader Attia remporte le prix Marcel-Duchamp - JeuneAfrique.com
Né à Dugny, en Seine-Saint-Denis (93) de parents algériens, Kader Attia a été formé à l’École supérieure des arts décoratifs de Paris et à l’École des Beaux-Arts de Barcelone. À la croisée d’influence multiples – la vie en banlieue dans un milieu cosmopolite, l’ambiance des marchés où il gagne ses premiers revenus, le service civil au Congo-Brazzaville… – il commence par s’exprimer à travers la photographie, avant de proposer des installations traduisant tout à la fois l’inconfort et la richesse de ses diverses identités. Un distributeur automatique proposant du gin hallal et un manuel pour perdre l’accent de banlieue, une collection de prêt-à-porter estampillée elle aussi hallal, strings y compris, voilà quelques œuvres qui assurent sa renommée au milieu des années 2000.
Lutter contre l’obscurantisme
Les années passant, il s’éloigne un peu des œuvres politiques trop bavardes, varie les techniques et prolonge à travers ses films et installations une réflexion sociétale sur notre présent, entre consommation effrénée et replis identitaire. Fini le temps du Chéri(e), café Bar qu’il tenait à Belleville et où il servait du Whisky – Mecca-Cola, voici venu le temps de La Colonie. « Ouvrir un espace culturel et engagé, dédié aux arts visuels, à la musique, à la performance, à l’expression au sens large, en passant par la pensée critique, dans une société et à une époque où les voies d’expressions libres sont chaque jour recadrées par le conformisme institutionnel, c’est lutter contre la montée du fascisme et de l’obscurantisme, écrit-il. Résister contre le poids du déni national a toujours nourri ma sensibilité d’artiste et ma pensée de chercheur. De la pensée à l’acte, j’ai longtemps rêvé d’un lieu où, depuis l’extérieur du périmètre interdit, il serait enfin possible d’échanger, de dialoguer, d’oeuvrer à réparer une société qui n’en fini plus de se fragmenter… Ensemble, à travers la musique, les arts, le spectacle, et les débats, La Colonie va faire tout ce qui est en son pouvoir pour se ré-approprier cet espace abandonné par l’opacité de notre monde. » Pour fêter cet événement, et le prix Duchamp qu’il vient d’obtenir, Kader Attia lance dès le 21 octobre un colloque sur le thème de « L’appropriation inventive et critique », et invite tout le monde à partager « le couscous de [sa] mère ». Voilà une belle manière de créer des liens.
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l’ADIAF (l’Association pour la diffusion internationale de l’art français) et le prix Marcel Duchamp
(…) A l’image de l’artiste essentiel qui lui prête son nom, ce prix souhaite rassembler les artistes de la scène française les plus novateurs de leur génération et encourager toutes les formes artistiques nouvelles qui stimulent la création.
(…) Le PRIX MARCEL DUCHAMP est organisé depuis l’origine en partenariat avec le Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, qui a choisi d’ouvrir son mode de sélection d’artistes exposés par le biais du regard des collectionneurs. Depuis 2005, la FIAC, Foire internationale d’art contemporain de Paris, s’est associée aux organisateurs et offre une large vitrine aux artistes sélectionnés, leur apportant une visibilité supplémentaire auprès des collectionneurs français et étrangers.

Kader Attia, lauréat 2016 du Prix Marcel Duchamp
(…) L’ambition de son propos comme la diversité de son approche et de ses pratiques, l’extrême pertinence de son œuvre ont convaincu les membres du jury. Conjuguant une réflexion constante sur l’opposition entre conscience individuelle et collective à partir de la métaphore de la perte qu’incarne dans sa pratique actuelle la notion de «membre fantôme», Kader Attia nous conduit à une réflexion personnelle sur la situation d’un monde plus divisé que jamais. À travers un labyrinthe associant les formes les plus diverses de la représentation, tentant de suturer les fragments d’un monde atrophié, Kader Attia propose un portrait de l’artiste en rebouteur.
déclare Bernard Blistène, Président du jury.

(…) L’art a parfois ce talent de prémonition, cette capacité à saisir les vibrations d’un monde en mutation. Le travail de Kader Attia a ce pouvoir fascinant. J’exprime aussi ma grande admiration pour les trois autres artistes nommés, également présentés au Centre Pompidou, dont les œuvres montrent la diversité, la profondeur, la puissance de la scène artistique en France.
Souligne Serge Lasvignes, Président du Centre Pompidou.

(…) Je veux saluer un artiste exceptionnel de par sa générosité naturelle et sa hauteur de vision. Merci au Centre Pompidou pour cette première exposition des quatre artistes nommés pour le Prix Marcel Duchamp qui témoigne de la vigueur de notre scène francaise.
Rappelle Gilles Fuchs, Président de l’ADIAF

Les lauréats précédents : Thomas Hirschhorn (2000) – Dominique Gonzalez-Foerster (2002) – Mathieu Mercier (2003) – Carole Benzaken (2004) – Claude Closky (2005) – Philippe Mayaux (2006) – Tatiana Trouvé (2007) – Laurent Grasso (2008) – Sâadane AFIF (2009) – Cyprien Gaillard (2010) – Mircea Cantor (2011) – Daniel Dewar et Grégory Gicquel (2012)- Latifa Echakhch (2013)- Julien Prévieux (2014), Melik Ohanian (2015).
Sources :